Terrains
A Porto Novo, ville du Bénin
Terrain de recherche d’Erwan Dianteill
Situé à une trentaine de kilomètres de Cotonou, la capitale de la République du Bénin, Porto Novo est localisée sur une lagune, à la frontière du Nigéria. C’est l’ancienne capitale coloniale du pays. C’est en effet dans cette ville que les Français installèrent leur gouvernement après la conquête du royaume de Dahomey en 1894, qui était le rival du royaume de Porto Novo. C’est une ville d’environ 250 000 habitants aujourd’hui, beaucoup plus petite que Cotonou, mais qui conserve un important poids politique et culturel (le gouvernement se trouve à Cotonou, mais l’Assemblée nationale est à Porto-Novo).
La ville est peuplée majoritairement de Goun, qui parlent une langue très proche du Fon, et de Yoruba, dont la langue est distincte, et qui sont majoritaires dans le sud ouest du Nigéria. Les Goun et les Yoruba sont en contact depuis très longtemps, et beaucoup de Portonoviens ont des parents issus des deux groupes, et maîtrisent donc les deux langues. La ville, du fait de son importance politique, est aussi peuplée de gens venant de tout le Bénin, ne parlant ni le Goun ni le Yoruba. C’est pourquoi l’usage du français revêt une importance cruciale dans le contexte urbain : c’est la langue véhiculaire utilisée par beaucoup.
Comme tout le sud du Bénin, Porto Novo est le lieu d’un intense brassage religieux. On y trouve des musulmans, des chrétiens catholiques et protestants, des chrétiens appartenant à des Eglises africaines indépendantes, et beaucoup de pratiquants du vodun et de la religion des orisha. Les esprits vodun sont d’origine Fon et Goun, les orisha sont yoruba. La divination par le Fa est surtout pratiquée pour les adeptes des vodun et des orisha, mais nombreux sont ceux qui y ont recours à l’occasion, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Porto Novo est une ville moderne où se croisent ainsi toutes ces religions, de façon conflictuelle ou pacifique, dans l’affrontement ou l’osmose.
Après les monuments.
Terrain de recherche d’Octave Debary
Les mémoriaux à l’épreuve de leur contemporanéité. Pour une analyse comparative.
Depuis plusieurs années, Octave Debary mène des enquêtes de terrain dans le cadre d’une recherche sur les politiques de la mémoire et de l’oubli. Cette recherche s’inscrit dans une approche anthropologique du mémorial et cherche à interroger des pratiques artistiques et des mémoriaux qui placent au cœur de leur dynamique l’enjeu participatif. De nombreux mémoriaux contemporains se construisent à partir d’un engagement du visiteur dans un lieu ou dans une œuvre. Rompant avec l’idée d’un discours, d’une exposition ou d’un mémorial qui expliquerait aux visiteurs ce qu’ils doivent comprendre du passé, ces dispositifs misent sur l’expérience de l’histoire (du passé) à travers l’engagement (au présent) du visiteur.
Plusieurs réalisations contemporaines sont analysées à partir d’un travail d’enquête de terrain, en particulier le Mémorial aux juifs assassinés d’Europe à Berlin (Peter Eisenman, 2005) le Monument de Harbug contre le fascisme de Jochen Gerz (1986-1993)… Le Mémorial d’Eisenman, propose un voyage au milieu de la ville de Berlin, il propose de passer un champ de stèles. A première vue, elles invitent à être parcourues paisiblement. Certaines personnes s’allongent dessus pour se reposer, d’autres s’en servent pour pique-niquer. La largeur entre les stèles ne permet le passage que d’une personne. En avançant dans ce champ, le terrain s’incline, les stèles s’enfoncent jusqu’à ôter tout horizon au visiteur. Progressivement, on perd de vue les gens avec lesquels on était venu, on s’appelle pour essayer de se retrouver, la ville aussi a disparu. Les gens se perdent et cherchent une sortie. Pour certains, ce sera un retour à la ville, pour d’autres, une entrée (« sous terre », en dessous du champ de stèles) dans l’exposition (conçue par Dagmar Von Wilcken) sur l’extermination des juifs d’Europe.
Par ces monuments, on touche aux fondamentaux de l’œuvre, de l’artiste et à la posture du spectateur. L’exigence participative du « public » vient autant de la reconnaissance du déficit de l’auteur-artiste ou du musée/mémorial qu’une interpellation adressée au spectateur contre cette partie pauvre et passive que lui a réservée la culture. Elle vise également à renverser la hiérarchisation d’un régime d’historicité où la mémoire est asservie au passé. Dans l’ensemble des exemples traités, c’est toujours ici (à travers l’expérience d’un lieu) et maintenant (la temporalité de cette expérience) que le travail de mémoire se fait. Contre une mémoire tournée vers un passé difficile ou impossible à atteindre, il s’agit de renverser notre rapport au temps, en partant du présent et du visiteur pour l’engager dans l’expérience patrimoniale et dans l’histoire. La participation devient la condition de réalisation de l’œuvre et introduit le spectateur comme auteur, et non plus seulement comme témoin, de sa propre histoire.
À travers ses enquêtes de terrain, Octave Debary essaie ainsi d’analyser les différents enjeux liées aux processus de mise en mémoire et de patrimonialisation de l’histoire, au sein des musées (Debary, 2012), des mémoriaux (Becker & Debary, 2012), ou dans l’art (Debary, 2017).
After the Monuments by Octave Debary, Professor at University of Paris.
My research seeks to question, from an anthropological perspective, those memorials and artistic practices revolving around audience participation. Many contemporary memorials are founded upon visitors’ engagement with a given space or work. Breaking with the conventional concept of the memorial or commemorative exhibition — whereby people are taught how to make sense of the past — these set-ups allow visitors to experience the past in the present through their engagement with the work. Deriving my analyses from fieldwork, I will consider several contemporary memorials of this type, in particular Berlin’s Memorial to the Murdered Jews of Europe (Peter Eisenman, 2005) and the Monument Against Fascism in Harburg (Jochen Gerz, 1986-1993).
Tribu des Aït Khebbach (Sud-Est marocain)
Terrain de recherche de Marie-Luce Gélard
Située dans une enclave saharienne (Sud-Est marocain), la tribu berbérophone des Aït Khebbach appartient à la grande confédération des Aït Atta. Autrefois acteurs des parcours transsahariens, les Aït Khebbach se sont peu à peu sédentarisés au début du XXe siècle. Aujourd’hui, ils occupent partiellement la vallée du Ziz et du Drâa, la majorité d’entre eux vivent dans la région de Merzouga, village de sédentarisation, au pied des dunes de l’erg Chebbi.
Les habitants de Merzouga appartiennent presque exclusivement à la tribu des Aït Khebbach. S’ils ne vivent plus de la seule agriculture oasienne, celle-ci demeure une ressource importante et primordiale (oasis et terres collectives au Sud du village).
La région exerce une forte attraction touristique depuis le début des années 70 et les infrastructures hôtelières y sont nombreuses, elles s’égrainent au nord du village le long des formations dunaires de l’erg. Le tourisme intra-national est aussi important durant la période estivale : la région est célèbre pour ses « bains de sable » (cure singulière destinée à soigner les rhumatismes).
Ethnographie d’un quartier Hassidic, Borough Park, Brooklyn (USA)
Nouveau terrain de recherche de Marie-Luce Gélard
Marie-Luce Gélard mène une ethnographie du quartier de Borough Park à Brooklyn depuis le printemps 2019, observant attentivement les déplacements, les manières d’être dans l’espace urbain des différentes populations et le contraste avec les quartiers environnants[1]. Cette ethnographie urbaine met en exergue ce que donne à voir d’elle-même, une « communauté »[2] réputée très « fermée » — difficile d’accès — dans sa pratique de l’espace public, par une minoration des sens.
[1] Dans le cadre de cette recherche, Marie-Luce Gélard s’est installée dans un immeuble situé à deux rues de la « frontière » du quartier de Borough Park à Kesington.
[2] Le terme « communauté » est utilisé dans le sens général qui lui est donné par l’anthropologie américaine, laquelle souligne les aspects psychosociologiques, c’est-à-dire la nature des relations entre ses membres (J.-F. Gossiaux, 1992 : 165). Ainsi, c’est surtout l’unité sociale à laquelle il est fait référence pour parler de « communauté ».
La région himalayenne du Garhwal (Uttarakhand, Inde)
Terrain de recherche de Serena Bindi
Depuis une quinzaine d’années, Serena Bindi mène des recherches au Garhwal. Le Garhwal se situe dans la région himalayenne centrale, en Inde du Nord, au sein de l’État de l’Uttarakhand, région connue en Inde par le fait que deux des plus grands cours d’eau du pays, le Gange et la Yamunâ, y prennent naissance. Leurs sources sont aujourd’hui une importante destination de pèlerinage hindou.
La population du Garhwal est issue de régions différentes : Rajasthan, Madhya Pradesh, Himachal Pradesh, Uttar Pradesh. Il s’agit de groupes installés au Garhwal depuis des siècles voire des millénaires, à la suite de mouvements de population. Ils se donnent aujourd’hui le nom collectif de Pahari (c’est-à-dire « Hommes des collines »), et pratiquent pour la plupart d’entre eux diverses formes d’hindouisme. Parmi les autres communautés ethniques, on trouve des Népalais installés là depuis le XIXe siècle, les Jadhs, les Marchas et les Shaukas sur la frontière indo-tibétaine (connus collectivement sous le nom de Bhotiyas).
L’économie du Garhwal et de l’Uttarakhand en général repose largement sur l’agriculture et l’élevage. Cependant, l’État essaye de diversifier les activités économiques et encourage la production d’énergie renouvelable (hydroélectricité), l’industrie, le tourisme et la sylviculture.
Les travaux de Serena Bindi dans cette région ont porté essentiellement sur les modalités rituelles de gestion des désordres individuels et collectifs, notamment au travers des rites de possession. Plus récemment, ses recherches se sont focalisées sur les différentes formes de « présence » qui sont attribuées aux morts et sur les attributs définissant cette présence (bénéfique ou maladive, réelle ou illusoire). S’il a toujours été usuel de faire l’expérience d’une présence de morts, lors de rituels où ils prennent possession des vivants et dialoguent avec eux, cette pratique se trouve de nos jours mise en question. À la suite des inondations dévastatrices qui ont gravement touché l’Uttarakhand dans ces dernières années (la plus dévastatrice s’étant produite en 2013), de nombreuses initiatives psychosociales on vu le jour, qui ont mené à l’introduction dans la région de nouveaux langages psychiatriques de prise en charge de la perte. Ceci a fait surgir ici un paysage inédit, où coexistent différentes représentations et pratiques (rituelles et psychiatriques) concernant la gestion des maladies liées aux deuils imprévus. Dans les deux cas, les troubles accompagnant la perte sont associés à la « présence » des morts, mais celle-ci est interprétée de manière totalement différente. Les rituels impliquent une présence réelle du défunt, inscrite dans l’expérience sensible des vivants parmi lesquels il s’incarne. Les interventions d’ordre psychiatrique ramènent cette présence à un phénomène psychologique, produit de croyances, illusions ou délires. En bref, le défunt est, d’un côté, un fantôme ; de l’autre, un fantasme.
Cette situation soulève maintes questions : qu’advient-il quand sont présents dans une même société des modes différents voire conflictuels de traitement de la perte ? Que faire devant des états somatiques dans un cas acceptés voire recherchés comme indices de la présence d’un mort et, dans l’autre, regardés et traités comme les effets néfastes d’un traumatisme obsessionnel ? Comment le recours à des systèmes de soins différents remodèle-t-il les émotions liées au deuil ? Comment les interprétations divergentes données de la présence des défunts et de ce qu’elle implique influent-elles sur la vision qu’ont les gens de la mort et des morts ?
Depuis 2019, Serena Bindi a élargi l’aire de cette recherche – initialement menée au Garhwal – à toute la région himalayenne centrale (l’État de l’Uttarakhand en Inde et l’État du Népal). Elle coordonne actuellement une équipes de 11 chercheurs spécialistes de l’Himalaya, qui travaillent sur les langages et le pratiques de prise en change de la perte dans différentes régions au sein de ce territoire. Au Népal, cette recherche est menée dans les districts de Dolakha, Gorkha, Ramechhap, Okhaldhunga, Sindhupalchowk, Bajhang, Bajura, Darchula et dans les villes de Kathmandu, Lalitpur, and Baktapur. En Inde, elle est conduite dans les districts de Uttarkashi, Theri, Rudraprayag, et les villes de Dehradun, Haridwar et Rishikesh en Uttarakhand, et dans le centre hospitalier Nimhans de Bangalore (cf . carte des lieux de la recherche). Ces recherches sont financées par un IDEX (programme GHOSTING 2019-22) et par une ANR (programme PHANTASIES 2020-2024).
Au Bwa-tun, pays des Bwa (Sud-Est du Mali)
Terrain de recherche de Cécile Leguy
Les Bwa (sing. Bo) sont des agriculteurs sédentaires vivant en communautés villageoises au sud-est du Mali (Cercles de San et de Tominian) et à l’ouest du Burkina Faso (Provinces du Mounhoun, de la Kossi et du Houet), où ils sont plutôt appelés Bwaba (ou Bwawa). La population totale est estimée à 300 000 individus. Ils parlent le boomu (ou bwamu au Burkina Faso), une langue de la famille Gur (voltaïque). Alors qu’ils ont toujours opposé une résistance farouche à l’islam, certains se sont convertis au christianisme, depuis l’arrivée de missionnaires catholiques à Mandiakuy (Mali) en 1922. Le nombre de chrétiens est estimé aujourd’hui à 10% au pays des Bwa maliens, ce qui fait la spécificité de cette région dans un pays à majorité musulmane. Les adeptes de la religion traditionnelle, sous la forme principale d’un culte des ancêtres, sont largement majoritaires.
L’organisation sociale, fondée sur une distinction entre cultivateurs – Bwa proprement dit – et hommes de castes – forgerons et griots vivant principalement de leurs travaux d’artisanat – reste principalement structurée par les classes d’âge. Les griots et les forgerons forment des groupes endogames.
Les principales plantes cultivées sont le sorgho, le petit mil, le fonio, l’arachide et, selon les villages, le riz, l’oignon, le maïs et le coton. Les bovins sont généralement confiés aux Peul qui circulent dans le Bwa-tun, le pays des Bwa. Ovins, caprins, porcs et volailles sont élevés au village et principalement utilisés comme réserve d’épargne, mais aussi pour l’accueil des amis, les besoins sacrificiels et les repas festifs. Des parcs arboricoles sont également exploités, notamment le karité (pour ses noix), le néré (pour ses fruits) et le baobab (pour ses feuilles, son écorce et ses fruits).
Les Bwa se sont rendus célèbres dans l’histoire de la région pour leur opposition à l’administration coloniale, qui s’est exprimée par une importante révolte en 1915-1916 – sur laquelle s’achève le célèbre roman de Nazi Boni, Crépuscule des temps anciens – révolte matée au bout de neuf mois mais dont on garde une grande fierté !